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Echecs et Ethnologie



Originaires du sous-continent indien, apparus au VIe siècle avant notre ère, les échecs sont souvent désignés comme le « roi des jeux » et le « jeu des rois ». S’ils s’inscrivent dans un univers ludique, sont-ils pour autant une occupation futile et improductive ? Ce n’est pas l’avis de Thierry Wendling en tout cas, qui aborde la pratique échiquéenne d’un point de vue social, culturel et cognitif. L’ethnologue a une vision de l’intérieur du monde des échecs puisqu’il est lui-même joueur classé international, a été arbitre et exercé plusieurs responsabilités au sein de la Fédération française des échecs.

Dans les clubs ou lors des tournois, il a mené une observation auprès des joueurs ordinaires (les « pousseurs de bois »), des arbitres ou des dirigeants. Heureusement, son livre peut se lire sans même connaître les règles des échecs ! Jeu de combat à forte intensité dramatique, lutte psychologique et intellectuelle, les échecs sont aussi une science. A cet égard, les manuels sont la voie royale du travail échiquéen. Il y a bel et bien une culture des échecs, nous dit l’auteur, laquelle conjugue une pratique de masse et d’intenses relations de face-à-face. « La spécificité d’un jeu réside moins dans ses règles logico-mathématiques que dans les projections qu’il suscite et dans la sociabilité qui l’accompagne. » Les échecs possèdent une tradition de cosmopolitisme. Un esprit communautaire régit les relations des joueurs entre eux. Mais la valeur cardinale reste la force au jeu, évaluée par le classement Elo. Lieu métaphorique, l’échiquier offre bien des résonances possibles : motifs mythiques mis en oeuvre par la partie (l’esprit contre la matière, le sacrifice, l’héroïsme du petit pion…), noms attribués aux ouvertures (« dragon », « sicilienne »…), mat comme illustration de l’idée de fatalité, etc.

T. Wendling montre l’omniprésence de l’écrit dans la pratique échiquéenne. La notation obligatoire des coups sur une feuille de papier sert de base pour calculer le classement des joueurs, ainsi que de matière première à la littérature et la théorie échiquéenne. Si les parties longues sont sérieuses et silencieuses, lors des blitz (parties rapides), les joutes oratoires se substituent à l’écrit.

Ce livre est aussi une contribution théorique à une anthropologie des jeux.

Thierry Wendling, Puf, 2002, 256 p., 22 €.

Cet ouvrage montre avec force l’intérêt théorique que constitue une approche anthropologique des jeux, en plaçant la notion de culture ludique au centre de l’analyse. L’auteur relève que le monde des joueurs d’échecs de compétition, au même titre que toute pratique ludique quelque peu développée, est un « petit laboratoire culturel » où s’élaborent des systèmes de représentations spécifiques vis-à-vis de la société globale à laquelle les individus appartiennent. « Dans cette optique, la culture échiquéenne présente des réponses originales à des questions (la nomination, le classement, la socialisation, l’usage de la parole, la conceptualisation du temps, la maîtrise du rite…) que toutes les civilisations se posent » (p. 50). Il s’agit donc de comprendre comment les acteurs construisent la signification du monde échiquéen en portant une attention soutenue sur les pratiques et discours propres aux joueurs, ce qui tire profit de l’idée d’une cohérence interne forte à cette « micro-société » dont l’histoire recouvre plusieurs siècles.

2Pour mener à bien cette recherche, Thierry Wendling fait le choix, qui se révèle fort judicieux, de la « participation observante ». Joueur d’échecs classé international et membre du comité directeur de la Fédération française des échecs pour les besoins de son étude, l’auteur souligne les limites des règles habituelles qui régissent le rapport de l’ethnologue au terrain pour cerner les moments clés de la culture échiquéenne. Si la présence observante « neutre » ou l’observation participante permettent d’effectuer un compte rendu de la vie d’un tournoi, l’implication dans les parties permet au chercheur de retranscrire avec beaucoup de clarté et de précision comment, dans le silence des salles de compétition officielle, un simple crissement de chaise, un regard un peu trop prolongé ou un raclement de gorge sont des « bruits » lourds de sens traduisant une tension psychologique et dramatique paroxystique. Dans ce cadre, les joueurs sont à la fois acteurs et spectateurs, quittant régulièrement leur table de tournoi lorsqu’ils n’ont pas le « trait » pour observer les autres compétiteurs ou échanger quelques anecdotes « auditivement faibles mais socialement intenses » qui concourent à produire une forte interconnaissance des membres. « Or un bon moyen pour apprendre ce qui se fait et se dit dans les silences feutrés des tournois, ou les huis clos des comités directeurs, c’est d’être joueur et dirigeant soi-même » (p. 23). La mise en exergue de nombre de ces historiettes montre comment celles-ci participent à la construction d’une culture commune. Mais cette culture ludique n’est pas qu’orale. Comme le souligne l’auteur, l’usage de l’écriture pour la conservation des parties distingue véritablement le joueur occasionnel de l’amateur éclairé qui fait partie intégrante du monde des échec. L’avènement d’un système de notation au cours des derniers siècles afin de garder une trace des parties passées a permis aux joueurs de ne plus uniquement considérer leur pratique comme un jeu mais comme une science – avec ses théories sur les ouvertures et les « finales » qui sont sans cesse éprouvées dans les laboratoires que constituent les tournois – et comme un art. « Affirmant que leur jeu connaît une accumulation de savoir et ouvre au plaisir esthétique de répéter des parties brillantes, les joueurs prennent le contre-pied des philosophes qui limitent singulièrement la portée du Jeu en le qualifiant abusivement d’“improductif” » (p. 217). À ce titre, l’analyse de l’émergence et de la structuration des modalités d’inscription des coups offre une valeur épistémologique certaine dès lors que l’on considère les échecs comme objet de science, apportant un véritable jalon pour un projet de sociologie des sciences. Comme le démontre Thierry Wendling, mettre en place un système de notation d’une partie d’échecs nécessite de penser l’espace (l’échiquier), le temps (qui a une structure double dans les échecs, le temps des coups joués et le temps du pendule) et la matière (il faut caractériser la nature des pièces). Plusieurs systèmes se sont longtemps concurrencés, reflétant chacun une façon particulière de conceptualiser ces trois dimensions, avant que la fédération internationale n’introduise une normalisation en 1977 (la notation algébrique actuelle). Mais la constitution de cette « langue échiquéenne universelle » ne doit cependant pas faire oublier « qu’il n’y a au départ ni notation, ni parole, mais mouvement » (p. 214). Dans ce cadre, Ethnologie des joueurs d’échecs révèle de façon fort pertinente que l’intérêt du jeu ne peut être cerné que si l’on dépasse le strict cadre des règles pour prendre en compte le dynamisme des interactions sociales mises en œuvre, la structure logiquo-mathématique d’un système ne déterminant pas pour autant les représentations des acteurs.

3Montrer à travers une étude de terrain approfondie que les cultures ludiques relèvent d’une création de sens permanente constitue un éclairage essentiel pour pouvoir comprendre la fortune des phénomènes ludiques actuels, à l’heure où il pourrait apparaître, pour qui se contenterait d’une analyse de « surface », que le jeu dans nos sociétés n’est que le reflet d’idéologies dominantes, dont l’un des avatars médiatiques actuels serait notamment les jeux vidéo. Comme l’atteste cet ouvrage, pour que le jeu puisse véritablement être pris en compte en tant qu’objet de recherche, il est nécessaire de s’écarter de la « théorie du reflet », qui a prévalu dans de nombreux travaux sur ce thème, pour complexifier l’approche. Et à ce propos le travail de Thierry Wendling manifeste que les amateurs de jeu d’échecs contredisent une approche sociologique classique « qui voudrait que l’on choisisse son loisir en fonction de sa profession ou de sa catégorie socioprofessionnelle » (p. 241), en montrant que d’autres valeurs que celles issues d’une activité « productive » sont mobilisées. L’analyse du rôle de ces valeurs dans la médiation ludique est alors essentielle pour quiconque souhaite mener une sociologie à partir des jeux, pour reprendre l’expression consacrée de Roger Caillois.

With more than 400 illustrations, and detailed maps, this immense and deeply researched account of the history of chess covers not only the modern international game, derived from Persian and Arab roots, but a broad spectrum of variants going back 1500 years, some of which are still played in various parts of the world. The evolution of strategic board games, especially in India, China and Japan, is discussed in detail. Many more recent chess variants (board sizes, new pieces, 3-D, etc.) are fully covered. Instructions for play are provided, with historical context, for every game presented.

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Le jeu d’échecs est né en Asie il y a bien longtemps et il s’est répandu sur cet immense continent en se diversifiant, au point que chaque grande civilisation a développé le sien. Ce jeu, on dira plutôt cette famille de jeu, possède une histoire très riche. Tout au long de ses quinze siècles, bien des formes sont apparues comme autant d’expériences originales, reflets de l’imagination des hommes, de leurs cultures, de leurs mondes. Explorant les deux dimensions, spatiale et temporelle, ce livre fait le point sur tous les jeux d’échecs historiques ou culturels avec une présentation soignée et détaillée, à chaque fois basée sur les plus récents résultats des chercheurs, experts et historiens.

Près de quatre-vingts jeux d’échecs, sont rassemblés et présentés dans cet ouvrage, plusieurs pour la toute première fois. Le livre est divisé en cinq parties :

  1. le Moyen Orient, perse, arabe, turc ou mongol. Du shatranj au shatar, en passant par toutes les variantes agrandies, circulaires ou à citadelles des manuscrits musulmans,
  2. l’Asie indianisée, le sous-continent indien, avec les chaturanga à deux ou à quatre, sur 8×8, 10×10, 12×12, 14×14 cases, jusqu’à l’Insulinde et ses sit-tu-yinouk ou makruk,
  3. l’Europe chrétienne, pour l’essentiel occidentale, et ses règles médiévales, les règles modernes de la Renaissance, ses variantes alphonsines et ses jeux germaniques,
  4. l’Extrême Orient, la Chine immense et le Vietnam, patries du xiangqi, la Corée voisine et son janggi, sans oublier les surprenantes variantes chinoises à trois et à sept joueurs,
  5. le Japon, traité à part, enfin, avec son incroyable raffinement des shogis, qui déclinent une gamme stupéfiante de jeux défiant l’imagination.

Une sixième section propose une ébauche de synthèse dans le temps et l’espace avec une étude morphologique des pièces d’échecs, matériaux, formes, influences et mutations, fabrication, idéologie et religions. Puis, après avoir démythifié bon nombre de lieux communs et de légendes vivaces mais souvent erronées, partez à la recherche du berceau original des échecs.

Ce livre se veut un manuel de référence pour l’étude ou la comparaison des jeux d’échecs pratiqués dans le monde, ou plus simplement, pour les découvrir et y jouer.

Au sommaire :







Centre d’Etude et de recherche sur le jeu

Ethnologie Anthropologie

Le site de l’ethnologie française

 

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