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Les échecs et le symbolisme




L’échiquier blanc et noir

L’échiquier est composé de 64 cases alternativement blanches (ou claires) et noires (ou foncées) disposées en carré (8×8). Il reflète l’étroite complémentarité entre le blanc et le noir, la clarté et l’obscurité ou le yang et le yin de la tradition chinoise car ce qui apparaît comme opposé à un certain niveau est complémentaire à un autre.

Le yang et le yin sont intimement liés au sein de la Grande Unité (Taiji) qui les contient à l’état indifférencié. L’imbrication du yang et du yin est parfaitement illustrée par le fameux symbole yin-yang 1. Tout coup joué par les blancs (yang) est suivi d’un coup joué par les noirs (yin) et vice versa. Autrement dit, le yang ne peut se manifester sans que le yin suive et inversement. Le yang contient le yin en puissance et réciproquement. C’est pourquoi, dans le symbole yin-yang, la moitié blanche (yang) contient un point noir (yin) et la moitié noire (yin) un point blanc (yang).

La Grande Unité se manifeste pour la première fois sous la forme de la polarité fondamentale du yang symbolisé par le Ciel et du yin associé à la Terre. Comme le Ciel est au-dessus de la Terre, le yang a la prééminence sur le yin. C’est probablement pourquoi les blancs jouent toujours en premier.

Tout ce qui va relever du monde intermédiaire, entre les mondes céleste et terrestre, participera à la fois du yang et du yin. Tout élément d’un tel monde est, en effet, yin par rapport au Ciel (yang) et yang par rapport à la Terre (yin). Autrement dit, le yang est toujours accompagné du yin et le yin du yang. Le jeu alterné des blancs et des noirs joint à l’alternance des cases de l’échiquier n’exprime rien d’autre.

Par ses figures humaines, l’échiquier est tout particulièrement associé à l’homme. Or, si l’homme est en relation avec le Ciel par l’esprit et la Terre par le corps, il est aussi chevillé aux deux par l’âme ou la psyché. Or, il appartient à l’être de dépasser la division intérieure entre le yang et le yin et de les réintégrer dans leur état unifié, de retrouver l’état d’individu (du latin “individuum” signifiant un), reflet de l’Unité universelle. Ainsi, l’être pourra réellement se gouverner lui-même comme le Principe, la Grande Unité, gouverne le Monde. Tel devait être l’un des premiers enseignements du jeu dans les temps anciens. Gagner était moins important que surmonter la division (intérieure) du yang et du yin en vue d’assurer leur alliance. Le jeu importait plus que la victoire.

Le nombre 8 et les mouvements des pièces

Le nombre 8 joue un rôle important dans les traditions orientales. Il est associé aux 8 trigrammesà la base des 64 hexagrammes, aux 8 piliers du Ming-Tang, aux 8 pétales du lotus etc.

Le nombre 8 est intermédiaire entre les nombres 4 et 12. Or, le nombre 4 est associé aux points cardinaux terrestres et le nombre 12 aux signes du zodiaque céleste. Autrement dit, le nombre 8 est en relation avec le monde intermédiaire entre la Terre et le Ciel. Il est le nombre du passage entre le carré terrestre privilégiant 4 directions et le cercle céleste n’en privilégiant aucune.

Le nombre 8 est en conséquence lié aux 8 directions associées à l’orientation de l’homme: les 4 points cardinaux et les 4 points intermédiaires. Ces 8 directions correspondent aux mouvements des pièces sur l’échiquier. Le roi, la reine et le cavalier peuvent se déplacer dans ces 8 directions; la tour verticalement et horizontalement; le fou en diagonale; le pion dans un seul sens vertical (et diagonal pour prendre une pièce adverse).

De plus, le sud et l’est sont associés à la clarté (yang) tandis que le nord et l’ouest sont reliés aux ténèbres (yin). Les blancs correspondent en conséquence au sud et les noirs au nord.

Les règles du jeu ont subi de nombreuses modifications au cours des âges. Elles reflètent davantage les changements intervenus dans l’organisation politique et sociale du monde des humains que le caractère sacré et rituel du jeu à ses origines. Nous n’en citerons que quelques unes à titre d’exemple:

  • Dans les pays orientaux, la pièce maîtresse était le vizir, le conseiller le plus puissant du roi en charge de sa protection;
  • Après l’introduction du jeu en Occident, la reine, la gent dame, devînt la pièce maîtresse;
  • Le pion prit peu à peu de l’importance et son droit à la promotion en pièce autre que le roi refléta l’anoblissement du loyal sujet;
  • La dernière modification importante fut l’introduction du roque qui permet de protéger le roi tout en mobilisant la tour. Il fut unanimement accepté vers le milieu du XIXe siècle.

Pour retrouver le caractère proprement sacré du jeu, il conviendrait de revenir à la double signification de la couleur noire dans la tradition hindoue. Au sens cosmologique et manifesté considéré précédemment s’ajoute un sens métaphysique et non manifesté. Le jeu entre le non manifesté (noir) et le manifesté (blanc), le Principe invisible à la source du monde visible et le retour à la source (le commencement et la fin) ne font que traduire la perpétuelle alternance entre le monde d’en haut et le monde ici-bas. La relation hiérarchique entre le blanc et le noir décrite à propos du symbole yin-yang se trouve alors inversée car “ce qui est en haut (dans l’ordre céleste) est comme ce qui est en bas (dans l’ordre terrestre)”. Autrement dit, le noir au plus bas sur Terre est au plus haut dans le Ciel.

Nous retrouvons ici le symbolisme du combat d’Arjuna “blanc” aux cotés de Krishna “noir”, respectivement associés au monde manifesté et au monde non manifesté, au “moi” et au “Soi”, au mortel et à l’immortel tels qu’ils sont dépeints dans le poème de la Bhagavad-Gitâ.

L’étude de l’analogie (inversée) entre les mondes céleste et terrestre devait constituer l’objet essentiel de l’initiation de l’être dans les temps anciens et les échecs pouvaient l’aider à en prendre conscience. L’art du joueur devait participer de l’Intelligence universelle qui gouverne le Monde (Virâj). L’Intelligence universelle transcende les facultés individuelles. De ce fait, les oppositions apparentes entre yang et yin sont transformées en complémentaires et, finalement, unifiées. L’union du yang et du yin n’est rien d’autre que le reflet de l’Unité dans la diversité du monde manifesté. Parvenir à l’union des ordres céleste et terrestre et rejoindre le Centre du Monde étaient le but ultime de l’initié. Cependant, l’être ne sait rien du Monde tant qu’il ne sait rien de lui-même. Pour trouver le Centre du Monde, il faut au préalable retrouver son propre centre. La quête intérieure est le premier pas vers la découverte de soi et du Soi.

Tout cela nous ramène à la première question. Les échecs sont-ils originaires de Chine ou d’Inde ? D’après ce qui précède, il est très vraisemblable qu’ils proviennent… d’Inde.

Le blanc et le noir, ou l’union des contraires René Guénon « Symboles de la Science sacrée »

Le symbolisme maçonnique du « pavé mosaïque » (tessellated pavement) est de ceux qui sont souvent insuffisamment compris ou mal interprétés; ce pavé est formé de carreaux alternativement blancs et noirs, disposés exactement de la même façon que les cases de l’échiquier ou du damier. Nous ajouterons tout de suite que le symbolisme est évidemment le même dans les deux cas, car, ainsi que nous l’avons dit en diverses occasions, les jeux ont été, à l’origine, tout autre chose que les simples amusements profanes qu’ils sont devenus actuellement, et d’ailleurs le jeu d’échecs est certainement un de ceux où les traces du caractère « sacré » originel sont demeurées le plus apparentes en dépit de cette dégénérescence.
Au sens le plus immédiat, la juxtaposition du blanc et du noir représente naturellement la lumière et les ténèbres, le jour et la nuit, et, par suite, toutes les paires d’opposés ou de complémentaires (il est à peine besoin de rappeler que ce qui est opposition à un certain niveau devient complémentarisme à un autre niveau, de sorte que le même symbolisme est également applicable à l’une et à l’autre); on a donc là, à cet égard, un exact équivalent du symbole extrême-oriental du yin-yang [01]. On peut même remarquer que l’interpénétration et l’inséparabilité des deux aspects yin et yang, qui sont représentées dans ce dernier cas par le gait que les deux moitiés de la figure sont délimitées par une ligne sinueuse, le sont ici aussi par la disposition enchevêtrée des deux sortes de carreaux, tandis qu’une autre disposition, comme par exemple celle de bandes rectilignes alternativement blanches et noires, ne rendrait pas aussi nettement la même idée et pourrait même plutôt faire penser à une juxtaposition pure et simple [02].
Il serait inutile de répéter à ce propos toutes les considérations que nous avons déjà exposées ailleurs en ce qui concerne le yin-yang; nous rappellerons seulement d’une façon plus particulière qu’il ne faut voir dans ce symbolisme, non plus que dans la reconnaissance des dualités cosmiques dont il est l’expression, l’affirmation d’aucun « dualisme », car si ces dualités existent bien réellement dans leur ordre; leurs termes n’en sont pas moins dérivés de l’unité d’un même principe (le Tai-Ki de la tradition extrême-orientale). C’est là en effet un des points les plus importants, parce que c’est celui-là surtout qui donne lieu à de fausses interprétations; certains ont cru pouvori parler de « dualisme » au sujet du yin-yang, probablement par incompréhension, mais peut-être aussi quelquefois avec des intentions d’un caractère plus ou moins suspect; en tout cas, pour ce qui est du « pavé mosaïque », une telle interprétation est le plus souvent le fait des adversaires de la maçonnerie, qui voudraient baser là-dessus une accusation de « manichéisme » [03]. Il est assurément très possible que certains « dualistes » aient eux-mêmes détourné ce symbolisme de son véritable sens pour l’interpréter conformément à leurs propres doctrines, comme ils ont pu altérer pour la même raison les symboles exprimant une unité et une immutabilité inconcevables pour eux; mais ce ne sont là en tout cas que des déviations hétérodoxes qui n’affectent absolument en rien le symbolisme en lui-même, et, quand on se place au point de vue proprement initiatique, ce ne sont pas de telles déviations qu’il y a lieu d’envisager [04].
Maintenant, outre la signification dont nous avons parlé jusqu’ici, il y en a encore une autre d’un ordre plus profond, et ceci résulte immédiatement du double sens de la couleur noire, que nous avons expliqué en d’autres occasions; nous venons de considérer seulement son sens inférieur et cosmologique, mais il faut aussi considérer son sens supérieur et métaphysique. On en trouve un exemple particulièrement net dans la tradition hindoue, où celui qui est initié doit être assis sur une peau aux poils noirs et blancs, symbolisant respectivement le non-manifesté et le manifesté [05]; le fait qu’il s’agit icic d’un rite essentiellement initiatique justifie suffisamment le rapprochement avec le cas du « pavé mosaïque » et l’attribution expresse de la même signification à celui-ci, même si, dans l’état actuel des choses, cette signification a été complètement oubliée. On retrouve donc là un symbolisme équivalent à celui d’Arjuna, le « blanc », et de Krishna, le « noir », qui sont, dans l’être lui-même, le mortel et l’immortel, le « moi » et le « Soi »; et, puisque ceux-ci sont aussi les « deux oiseaux inséparablement unis » dont il est question dans les Upanishads, ceci évoque encore un autre symbole, celui de l’aigle blanc et noir à deux têtes qui figure dans certains hauts grades maçonniques, nouvel exemple qui, après tant d’autres, montre une fois de plus que le langage symbolique a un caractère véritablement universel.

Notes:
[01] Voir La Grande Triade, ch. IV. – Nous avons eu l’occasion de lire un article dont l’auteur rapportait la partie blanche au yin et la partie noire au yang, alors que c’est le contraire qui est vrai, et prétendait appuyer cette opinion érronée par des expériences « radiesthésiques »; que faut-il conclure de là, si ce n’est que, en pareil cas, le résultat obtenu est dû tout simplement à l’influence des irées préconçues de l’expérimentateur?

[02] Cette dernière disposition a cependant été employée aussi dans certains cas; on sait qu’elle se trouvait notamment dans le Beaucéant des Templiers, dont la signification était encore la même.

[03] Ces gens, s’ils étaient logiques, devraient, suivant ce que nous avons dit plus haut, avoir le plus grand soin de s’abstenir de jouer aux échecs pour ne pas risquer de tomber eux-mêmes sous cette accusation; cette simple remarque ne suffit-elle pas à montrer toute l’inanité de leur argumentation?

[04] Nous rappellerons aussi, à ce propos, ce que nous avons dit ailleurs sur la question du « renversement des symboles », et plus spécialement la remarque que nous avons faite alors sur le caractère véritablement diabolique que présente l’attribution au symbolisme orthodoxe, et notamment à celui des organisations initiatiques, de l’interprétation à rebours qui est en réalité le fait de la « contre-initiation » (Le Règne de la quantité et les signes des temps, ch. XXX).

[05] Shatapata Brâhmana, III, 2, I, 5-7. A un autre niveau, ces deux couleurs représentent aussi ici le Ciel et la Terre, mais il faut faire attention à ce que, en raison de la correspondance de ceux-ci avec le non-manifesté et le manifesté, c’est alors le noir qui se rapporte au ciel et le blanc à la terre, de sorte que les relations existant dans le cas du yin-yang se trouvent interverties; ce n’est d’ailleurs là qu’une application du sens inverse de l’analogie. L’initié doit toucher la jonction des poils noirs et blancs, unissant ainsi les principes complémentaires dont il va naître en tant que « Fils du Ciel et de la Terre » (cf. La Grande Triade, ch. IX).

(fragment du livre Symboles fondamentaux de la Science sacrée, Gallimard)

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